APPRENDRE DU SCOTSMAN

Nous apprécions votre participation à l’expérience et espérons que votre visite du Scotsman vous aura mis dans l’ambiance d’une plongée archéologique. Tout n’est pas terminé. Nous vous proposons maintenant de prendre le clavier de l’archéologue et comme lui, reporter les informations rassemblées au cours de votre exploration. À la façon d’un archéologue, écrivez ou décrivez sur la fiche de structure située en fin de cette page ce que vous aurez mémorisés ou qui vous vient à l’esprit spontanément. Une fois que vous aurez complété l’exercice, vous pouvez revenir au résumé des observations préparés par les archéologues. Elles définissent la valeur historique et archéologique du Scotsman selon archéologues…

Vincent Delmas et Daniel Laroche

Crédit : Richard Larocque

Les textes et les photographies sont la propriété de l’Institut de Recherche en Histoire Maritime et Archéologie Subaquatique ou bénéficient d’ententes de diffusion. Elles ne peuvent faire l’objet d’aucune réutilisation, modification, distribution ou publication sans autorisation. ©IRHMAS 2023 

Apprendre du Scotsman

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  • 09 avril 2024
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Titre : Le brick Mary peint par John Scott en 1855Crédit : Domaine public

Le Scotsman : un homme ou un navire?

Le Scotsman : un homme ou un navire?

Le Scotsman est un navire marchand construit en 1834 par John Duncanson à Alloa, une ville portuaire à proximité d’Édimbourg en Écosse. D’après les archives, ce bateau portait une figure de proue représentant probablement le buste d’un homme écossais (Scotsman). Ces sculptures en bois ornant l’avant de navires à l’image d’Écossais des Highlands sont un thème très populaire au 19e siècle.

Finalement, il faut croire que le fier Scotsman ce sont un peu les hommes qui l’ont navigué en plus du navire lui-même!

Au moment de sa construction, le Scotsman est désigné comme un brick soit un type de voilier en bois et comportant deux mâts. Sa longueur hors tout est de 82 pieds 9 pouces (25 mètres), sa largeur est de 22 pieds 6 pouces (6,88 m), pour une hauteur de cale de 14 pieds (4,26 m). L’arrière du navire nommé poupe est de forme carrée et parmi ses attributs, sa coque de bois est recouverte d’un revêtement protecteur composé de feuilles de laiton de la Muntz Metal Company.

Pendant douze ans, le Scotsman a effectué plus de 60 voyages dans une soixantaine de ports à travers le monde, notamment à New York, Rio de Janeiro, Buenos Aires, Glasgow, Liverpool, Édimbourg, Naples, plusieurs ports des Caraïbes, de la Baltique, de la Russie, à Québec et à Montréal. Son premier capitaine est Thomas Carmichael de 1835 à 1843. Après avoir effectué une première traversée vers New York l’année de son lancement, il fait escale à Québec et à Montréal avec des marchandises générales et neuf immigrants désirant s’établir. Le nombre important de traversées entre le Royaume-Uni et les mers tropicales justifient sans doute la pose d’un recouvrement de la partie immergée de la coque avec des feuilles de métal Muntz. Celles-ci protègent le bois contre les vers marins et les algues. Deux autres capitaines commandent le Scotsman jusqu’à son naufrage. Il s’agit d’Edward Turnbull de 1843 à 1846 et de James Jamieson, ce dernier est aux commandes du navire au moment de sa perte dans la nuit du 20 au 21 novembre 1846.


Qu’est venu faire le Scotsman à Montréal en 1846?

Parti le 2 septembre 1846 de Greenock, près de Glasgow et sans cargaison, le Scostman arrive à Québec le 20 octobre avec à son bord six rescapés d’un navire démâté survenu en Atlantique. Il parvient finalement dans le port de Montréal le 26 octobre, toujours à vide et sans doute remorqué par un navire à vapeur.

La Gazette de Montréal datée du 6 novembre 1846 donne des renseignements sur le contenu de la cargaison embarquée à destination de Liverpool, ainsi que le nom des marchands exportateurs. Le premier est l’agent Georges Dempster, responsable de coordonner et de remplir la cale du Scotsman. Également marchand à commission, Dempster a chargé le navire de près de deux mille de douves en chêne destinées à l’assemblage de tonneaux de type puncheon et des planches de bois brut. Le format de baril appelé « puncheon », sert de contenant pour l’exportation du rhum et de la mélasse. Ces matériaux sont vraisemblablement embarqués en vrac. D’autres marchands, soit les frères Twiname, Andrew Shaw et William Carmichael, eux expédient 830 tonneaux de farine. Enfin, la firme Anderson, Auldjo et Evans expédie 6,400 minots de blé probablement dans des tonneaux.

Ces marchands exportateurs sont tous d’origine écossaise et la majorité d’entre eux sont des grossistes installés dans le Vieux-Montréal. Ils étaient spécialisés dans la vente en gros de nourriture, de divers outils et de matières premières pour différents types d’industries. Tous ces marchands contribuant à la cargaison exportée sont aussi membres de la Society St. Andrew’s de Montréal : un organisme à but non lucratif célébrant l'héritage écossais et basé à Montréal depuis 1835. En effet, dès la fin du 18e siècle, les activités de la diaspora écossaise sont prédominantes au Canada dans le commerce des fourrures avec les Premières Nations, le commerce général d'importation et d'exportation, le secteur bancaire, la construction navale, le commerce du bois et l'établissement de manufactures. Les Écossais, et leurs descendants de chaque côté de l’Atlantique, ont largement influencé et façonné l’économie moderne de la Belle Province et de l’Amérique du Nord.


Titre : Détails de la cargaison du Scotsman d'après la Gazette de Mointréal du 6 novembre 1846Crédit : Bibliothèque Vanier, Université de Concordia

Que s’est-il passé dans la nuit du 20 au 21 novembre 1846?

Une fois la cargaison complétée, le Scotsman serait parti de Montréal le 6 novembre 1846 en direction de Liverpool. Dans la nuit du 20 novembre 1846, le Scotsman commandé par James Jamieson navigue à la hauteur du Bic dans le Bas-Saint-Laurent. C’est alors qu’il essuie de fortes rafales du nord-est. En l’absence d’un pilote du Saint-Laurent, le navire heurte des rochers des récifs de l’île Bicquette ou de l’île du Bic et se met à dériver avant de sombrer. Un seul survivant des neuf membres d'équipage parvient à gagner en chaloupe l'île Saint-Barnabé, où il est secouru le lendemain matin par des habitants de Rimouski. Nous ignorons son nom et son témoignage n’est jamais parvenu jusqu’à nous.

Titre : Le journal de Québec du 26 novembre 1846Crédit : Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Titre : Le journal de Québec du 26 novembre 1846Crédit : Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Crédit : Institut de Recherche en Histoire Maritime et Archéologie Subaquatique / CIDCO

La découverte du Scostman et les recherches qui ont suivi

En 2002 lors d’un levé sonar, une nouvelle épave est localisée par le Service hydrographique du Canada au large de l’île du Bic à près de 30 mètres de profondeur. Alerté par des plongeurs récréatifs de la région, une équipe menée par le chercheur d’épaves Samuel Côté se prépare à visiter l’épave accompagnée de l’archéologue Érik Phaneuf. Ils plongent sur les restes du navire en 2013 et 2015. Des images des vestiges apparaissent dans un épisode de la série « Chasseurs d’Épaves » diffusé sur Historia. Quelques objets retrouvés sur l’épave ainsi qu’une marque de fabrication embossée sur une plaque de cuivre recouvrant la coque suggèrent une datation de l’épave vers le milieu du 19e siècle. En tenant compte de toutes les informations récoltées, Samuel Côté conclut que le navire serait le Scotsman.

À la suite de ces interventions, l’Institut de Recherche en Histoire Maritime et en Archéologie Subaquatique (IRHMAS), s’associe à des chercheurs de l’Université de Québec à Rimouski (UQAR-ISMER), au Centre Interdisciplinaire de Développement en Cartographie des Océans (CIDCO) et au Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN). Dans un premier temps les archéologues de l'IRHMAS poursuivent les recherches en archives. Les partenaires portent ensuite leur attention sur l’épave du Scotsman elle-même en 2019, 2020 et 2021. Le Réseau Québec Maritime et le ministère de la Culture financent ces activités de recherche.

Des levés sonar au-dessus de l’épave révèlent que sa structure est toujours en place et se trouve dans un état de conservation assez exceptionnel malgré quelques altérations et déplacement naturels des vestiges qui se seraient produits depuis sa découverte. Deux interventions archéologiques en plongée sous-marine et à l’aide d’un ROV (un robot sous-marin) permettent de photographier, de filmer et de mesurer les différentes parties du Scotsman.

Les interventions de l’IRHMAS et de leurs collaborateurs ont permis de documenter une partie significative des vestiges du brick Scotsman et d’en bonifier les connaissances. Munis de ces informations, il a été possible de restituer des parties en 3D grâce aux spécialistes du CDRIN. On a aussi créé une animation virtuelle grâce l’atelier de création numérique Super Splendide qui s'est associé au projet. Si les objectifs scientifiques principaux étaient de comprendre les différentes parties de l’épave tout en documentant son état de conservation, il y a lieu de poursuivre des études sur l’effet des courants, sur le fond marin, sur la faune et la flore environnantes et de mettre à profit l’intelligence artificielle lors de futures explorations archéologiques.


Dans quel état se trouve le Scotsman aujourd’hui et qu’avons-nous appris à son sujet ?

Les parties basses ou cale du Scotsman, sont conservées d’une extrémité à l’autre. D’une longueur de 23,5 mètres et d’une largeur maximale de 6,7 mètres, l’épave repose à 30 mètres de profondeur et s’élève de 30 centimètres à environ 3 mètres au-dessus du fond marin. Il s’agit d’une coque en bois dont les parties basses immergées sont recouvertes de feuilles de tôle de laiton de type Muntz. Les parties hautes du navire composent le champ de débris dispersé tout autour. La partie arrière ou poupe est partiellement ensevelie dans les sédiments tandis que la partie avant ou proue est complètement dégagée. Les zones en bleu sur une des images acoustiques sont les plus profondes. Notons cependant que l’étrave, une pièce maîtresse, s’est détachée et gît maintenant sur le fond marin. Sont aussi visibles des sections de mâts, deux ancres, diverses pièces métalliques indéterminées, un guindeau (treuil à axe horizontal) pour relever des ancres ou des cordages, un réflecteur de pont (en verre) permettant d’éclairer les cabines, de possibles éléments de pompe. De plus, des éléments dispersés du pont supérieur laissent entrevoir les restes d'une cargaison de tonneaux en provenance de Montréal.

L’inspection visuelle et les photographies témoignent de la conservation exceptionnelle de cette épave ainsi que sa vulnérabilité. Il serait judicieux d’y effectuer d’autres expertises subaquatiques afin d’en étudier les caractéristiques architecturales principales et en échantillonner la cargaison à l’aide de sondages.

De plus, des études ciblées portant sur les espèces et l’âge des bois utilisés pour le navire ou même biologiques entre-autres permettraient d’ajouter aux connaissances de ce site alors que l’inspection de la zone de débris directement adjacente devrait en compléter le portrait. L’épave, un des derniers témoins du grand âge de la voile, est contemporaine à celles du Terror et de l’Erebus de l’expédition Franklin dans l’Arctique ainsi que celle du William Salthouse en Australie.


Titre : Images acoustiques au sondeur multifaisceaux et au sonar à balayage latéral de l'épave du ScotsmanCrédit : CIDCO 2019

Qu’est-ce que j’ai pu découvrir au cours de l’expérience 3D?

Grâce à la reconstruction 3D rendu possible par l’usage de technologies d’avant-garde par les collaborateurs du CDRIN et de Supe splendide vous avez pu vous promener dans trois secteurs de l’épave que nous présentons ci-dessous :

Zone 1 : la poupe (arrière du navire)

Quelques éléments de la structure du navire sont visibles. On distingue bien les flancs du navire, son l’étambot ainsi qu’un illuminateur de pont sur l’arrière. L’étambot est une forte pièce de bois terminant l’arrière d’un bateau auquel on attache le gouvernail. Les chiffres romains visibles sur ce dernier indiquent le tirant d’eau, soit la hauteur de la partie immergée du bateau, qui varie en fonction de la charge transportée. Il montre les chiffres IX et X sur le côté tribord (droit). L’illuminateur de pont est un prisme rectangulaire en verre transparent servant à éclairer des compartiments à l’intérieur du navire par réfraction de la lumière naturelle.

Zone 2 : le mât à tribord (côté droit du navire) et le revêtement Muntz

Le mât le mieux conservé du Scotsman est celui visible vers l’arrière et à l’extérieur de l’épave côté tribord (droit), dans le champ de débris. Il est posé sur le fond, quasiment parallèle à la coque. Il se compose d’un assemblage de plusieurs éléments encastrés l’un dans l’autre dont un nid-de-pie, un chouque, suivie de la hune et du bas-mât (voir dessin). Les parties des coques situées à proximité sont recouvertes de feuilles en alliage cuivreux. 

Ce revêtement de feuilles de tôle de type Muntz a été appliqué sous la ligne de flottaison. Ce métal est formé par un alliage de 60% de cuivre et de 40% de zinc. En 2015, une marque est découverte sur l’une des feuilles, identifiant la compagnie l'ayant fabriquée : « MUNTZ'S 24 ». Il s'agit de la Muntz Metal Company, fondée en 1829 et qui a obtenu le brevet de fabrication de ce type de plaque en 1832. Ces feuilles de tôle rectangulaires sont fixées avec des clous du même alliage, parallèles à la ligne de flottaison et positionnées de manière à ce que les extrémités se chevauchent.

Zone 3 : la proue (avant du navire)

Toute la section avant de la proue est constituée d’un mélange d’éléments structuraux associés à un pont, soit le plancher établi juste au-dessus de la cale. Plusieurs éléments structuraux sont bien identifiables, tels que l’étrave, un guindeau, des portions de mobilier naval dont deux ancres et des objets divers, dont une soucoupe en céramique. Cependant, la nature et la fonction de certaines sections en bois relativement désorganisées ainsi que de plusieurs concrétions métalliques de tailles variées demeurent hypothétiques. L’étrave s’est détachée du navire et est maintenant couchée sur le fond marin. Tout comme l’étambot, elle portait les chiffres romains désormais invisibles. Cette pratique de graduer en pieds l’étrave et même l’étambot en poupe, permettait d'équilibrer le tirant d’eau avant-arrière du navire. Le guindeau du Scotsman est un appareil de levage manuel qui est fixé au pont sur l’avant du navire. Ce treuil à axe horizontal sert à la manœuvre des câbles ou chaînes des ancres, au chargement et au déchargement des marchandises et peut être utile lors de manœuvres d'amarrage et d’accostage. 

Que faire si je découvre une épave et pourquoi il est important de la protéger?

Selon l’UNESCO, il y aurait au moins trois millions d’épaves dans le monde, dont certaines ont plusieurs milliers d’années. Une épave comme le Scotsman possède une grande valeur patrimoniale et elle agit aussi comme un récif artificiel et attire des colonies d’invertébrés et de poissons. En effet, les nombreuses surfaces de bois et de métal fournissent un habitat aux mollusques et aux petits poissons, qui attirent à leur tour des poissons de plus grande taille, et ainsi de suite. Chaque épave est un écosystème particulier qui varie selon son ancienneté, ses matériaux, les courants présents, sa distance vis-à-vis de la côte et sa profondeur ainsi que la température et la salinité de l’eau. Toutes ces caractéristiques ont des influences directes sur les espèces présentes qui réagissent également aux changements climatiques. Il faut donc agir avec précaution lors de travaux archéologiques.

Outre son riche environnement naturel, Une épave comme le Scotsman témoigne d’un événement figé dans le temps qui a valeur de capsule temporelle. Celle-ci contient des informations historiques uniques et irremplaçables. Les épaves nous en apprennent sur leur construction, sur leurs réparations, sur leur cargaison, sur leurs marins. Beaucoup d’épaves comme le Scotsman ont été la dernière demeure de marins disparus.

Le mythe selon lequel les épaves recèlent des trésors de grande valeur est malheureusement toujours d’actualité. Comme on vient de l’évoquer, une épave c’est un vestige physique qui témoigne directement de l’ingéniosité technique des hommes, de leurs voyages, du commerce, de la guerre, du quotidien et de son abandon. Le Scotsman nous parle de tout cela, parce qu’il est un témoin d’une histoire qui ne tient pas uniquement aux circonstances et lieu de son naufrage. On est donc loin de la notion de trésor composé d'or, d'argent et de bijoux.

Au Canada et au Québec les pratiques d’altération des épaves (pillage) vont à l’encontre des lois provinciales, fédérales touchant le patrimoine archéologique submergé. Elles perturbent les sites au point d’annuler les possibilités d’en retirer des informations cruciales pour l’archéologie.

Si vous découvrez une épave, vous devez contacter le ministère de la Culture du Québec et un des receveurs des épaves du Canada car la poursuite des explorations doit se faire avec un permis archéologique. En touchant l’épave ou en soulevant du fond un objet qui s’y trouve, vous risquez d’endommager des restes fragiles et compromettre leur valeur scientifique qu’elle soit archéologique ou biologique. Déclarer une épave c’est participer aux efforts de conservation et de protection de notre patrimoine subaquatique.

Grâce à la collaboration de tout un chacun, on pourra mesurer au fil du temps l’extraordinaire histoire qui nous est accessible au fond du Saint-Laurent des lacs ou des rivières. Ici git une richesse culturelle, historique et biologique incomparable, mais fragile, qu’il nous faut protéger et faire découvrir.


Titre : Plongeur sur l'IRHMASCrédit : IRHMAS

Pour en savoir plus

Les rapports du projet Voir la mer sont disponibles sur le site de l'OGSL: